Stress de chaleur létal : quelle est la pathophysiologie des troubles en élevage laitier ?

Stress de chaleur létal : quelle est la pathophysiologie des troubles en élevage laitier ?

De nombreux éleveurs, nutritionnistes et vétérinaires sont confrontés à des épisodes de stress de chaleur dont les conséquences économiques peuvent être majeures. Les effets observés sont très nombreux et ils peuvent aller de la simple baisse de production jusqu’à la mort de l’animal.

Dans cet article, l’auteur propose de décrire tous les phénomènes pathophysiologiques qui peuvent s’enchainer jusqu’à la mort éventuelle, lors de stress de chaleur chez les bovins.

Stress de chaleur : de quoi parle-t-on ?

Les signes cliniques observés lors de stress de chaleur sont dus aux effets directs de la chaleur sur les cellules (liquéfaction des membranes cellulaires et dénaturation des protéines cellulaires), mais ils sont également dus à un état inflammatoire plus ou moins généralisé (endotoxémie, sepsis).

Les effets d’un stress de chaleur apparaissent d’autant plus facilement que la période d’acclimatation est courte comme en début d’été ou lors d’épisodes de chaleurs brutales. Ils sont aggravés lorsque l’excès de chaleur persiste jours et nuits et lorsque l’hygrométrie est élevée.

Réponses initiales à la charge de chaleur

Différentes adaptations comportementales permettent aux vaches de s’adapter aux premiers excès de chaleur. La baisse d’ingestion est essentielle pour diminuer la production de chaleur métabolique et elle est proportionnelle à la charge de chaleur excédentaire. La consommation nette d’eau augmente, même s’il est parfois possible d’observer une diminution de la consommation totale d’eau, liée à la baisse d’ingestion et à la baisse de production laitière.

La première adaptation physiologique permettant d’éliminer l’excès de chaleur est la transpiration et elle est efficace tant qu’un gradient d’évaporation avec l’air ambiant existe. Lorsque ce n’est plus le cas, une hyperventilation s’installe commençant par une tachypnée (augmentation de la fréquence respiratoire et diminution du volume respiratoire) et se poursuivant par une hyperpnée (diminution de la fréquence respiratoire et augmentation du volume respiratoire). A ce stade, une hypocapnie artérielle s’installe conduisant ainsi à un état d’alcalose respiratoire. Cliniquement, le passage de la tachypnée à l’hyperpnée s’observe lorsque la vache halète gueule ouverte.

Lorsque la charge de chaleur augmente encore, la redistribution périphérique du flux sanguin est favorisée pour optimiser l’élimination cutanée de chaleur. Elle se fait au détriment de la vascularisation du tractus digestif qui est alors hypoperfusé.

Perturbations électrolytiques et acido-basiques

Une grande quantité de K+ est sécrétée par la sueur et elle peut atteindre 12% du K+ ingéré. Le Na+ est également secrété par la sueur, mais dans une moindre mesure. Une baisse de l’activité de l’aldostérone permet d’épargner des K+ au niveau rénal et de compenser les pertes par la sueur, mais elle contribue à augmenter l’excrétion rénale du Na+.

Alcalose respiratoire et acidose métabolique compensatrice

L’alcalose respiratoire induite par l’hyperpnée provoque une augmentation de l’excrétion rénale de bicarbonates pouvant conduire à un état d’acidose métabolique compensatrice, induit par la baisse d’activité de l’aldostérone qui favorise la rétention rénale des H+. Cliniquement, la cyclicité alcalose-acidose se traduit par des variations nycthémérales du pH urinaire qui augmente l’après-midi lors des pics de chaleur et qui baisse la nuit pendant les périodes plus fraiches. Si l’état d’euthermie n’est pas retrouvé la nuit, l’acidose métabolique s’intensifie et la baisse d’ingestion est aggravée.

Approvisionnements perturbés en sodium

L’approvisionnement et les réserves en Na+ sont fortement réduits par la baisse d’ingestion et par la baisse d’activité de l’aldostérone, mais également par des cytokines qui perturbent l’activité des transporteurs rénaux de Na+. La production de cytokines est provoquée par la translocation d’endotoxines qui contribuent elles-mêmes à réduire la capacité d’absorption intestinale des Na+. Enfin, les pertes en Na+ sont essentiellement dues aux pertes salivaires, pouvant atteindre 18kg par jour, pendant le halètement et elles sont éventuellement aggravées par une diarrhée.

Composition salivaire et flux

Lors de stress de chaleur, l’augmentation de consommation d’eau est associée à une augmentation du volume urinaire, à une diminution de la densité urinaire et à une augmentation du volume plasmatique. Si les apports en eau ne sont pas suffisants, une déshydratation s’installe progressivement, le volume ruminal diminue jusqu’à 51% et la réserve ruminale de Na+ baisse de 42%. L’absorption ruminale de Na+ est alors supérieure de 630% aux apports alimentaires de Na+, illustrant ainsi la capacité du rumen à maintenir l’eunatrémie lors de stress de chaleur et de déshydratation. Enfin la déshydratation diminue les capacités de la vache à thermoréguler et aggrave le stress de chaleur.

Évolution du pH ruminal

La baisse du pH ruminal est en partie due à la diminution des capacités tampon (Na+, K+, HCO3-), mais elle est également liée à la diminution de la capacité d’absorption des Acides Gras Volatils ruminaux, elle-même sodium-dépendante et bicarbonate-dépendante. Près de la moitié des bicarbonates présents dans le rumen sont fournis par la salive, et l’autre moitié est sécrétée par l’épithélium ruminal, sous réserve d’un approvisionnement suffisant en sodium. La baisse du pH du rumen provoque une baisse de sa motilité et une baisse du brassage du contenu ruminal. Le contact des Acides Gras Volatils avec la paroi ruminale est moins efficace et la baisse d’absorption est aggravée. La motilité du rumen diminue de moitié après 5 jours d’exposition à un stress de chaleur, alors qu’elle n’est pas modifiée en dessous de 2 jours. Enfin, si l’ingestion globale baisse, la quantité ingérée par repas a tendance à augmenter contribuant à une baisse plus marquée du pH ruminal postprandial.

Hyperméabilité du tractus gastro-intestinal

La vasoconstriction viscérale peut provoquer jusqu’à 50% de baisse du flux sanguin intestinal. L’hypoxie au niveau de l’épithélium perturbe l’intégrité de la barrière intestinale et un phénomène « d’intestin perméable » s’installe. Il est aggravé par l’hyperosmolarité provoquée par l’acidose ruminale. C’est le point de bascule vers le risque de stress de chaleur létal.

Endotoxémie

L’acidose ruminale favorise la lyse des bactéries intestinales gram-négatives et la libération luminale d’endotoxines (lipopolysaccharides) augmente. La translocation paracellulaire de ces endotoxines intestinales, vers la circulation générale, est alors permise par le relâchement des jonctions serrées (« intestin perméable »). Dans les formes les plus sévères, les entérobactéries elles-mêmes peuvent être transloquées. Les endotoxines transloquées rejoignent la circulation portale pour être détoxifiées par le foie et prévenir ainsi l’endotoxémie. Ce n’est plus le cas lorsque le stress de chaleur s’intensifie et que la charge endotoxinique dépasse les capacités de détoxification des cellules Kupffer.

Hypoalbuminémie

L’arrivée des endotoxines au niveau du foie déclenche la production des Protéines de la Phase Aiguë de l’inflammation, et ce au détriment de la synthèse hépatique de l’albumine. Ceci est en lien avec l’inversion du ratio albumine : globuline fréquemment observée chez les vaches laitières en été.

Choc septique 

La libération des Protéines de la Phase Aiguë stimule la libération de cytokines pro-inflammatoires qui favorisent la production de radicaux libres oxygénés et nitrogénés, responsables d’un stress oxydatif, lorsque la réaction pro-inflammatoire n’est plus contrôlée. Le stress oxydatif devient alors toxique pour les cellules intestinales et hépatiques ce qui contribue à aggraver la perméabilité intestinale et à accentuer l’intensité de l’endotoxémie. Les radicaux libres nitrogénés ont également une activité vasodilatatrice majeure au niveau intestinal provoquant une reperfusion viscérale massive. Cette reperfusion intervient alors que la vasodilatation périphérique est maximale, ce qui entraine une chute de la pression sanguine et une insuffisance cardiaque pouvant entrainer la mort. C’est le choc septique.

Syndrome de Réponse Inflammatoire Systémique

Le Syndrome de Réponse Inflammatoire Systémique (SRIS) est une cause fréquente de mortalité lors de stress de chaleur et il est la conséquence du choc septique, réaction hyper-immune, associée ou non à un phénomène infectieux.

Coagulopathie induite

Le Syndrome de Réponse Inflammatoire Systémique s’accompagne de troubles de la coagulation (CIVD) responsable d’ischémie et de dysfonctionnement de tous les organes. La chaleur a également une action directe sur l’agrégation plaquettaire.

Perméabilité vasculaire

Un phénomène de perméabilité vasculaire généralisée s’installe. Il se traduit par la présence de dépôts de fibrine au niveau péritonéal et thoracique et par la baisse des protéines totales du sang. Il est favorisé par la production des deux principales cytokines (TNF-a et l’IL-1) produites en réaction à l’endotoxémie et l’intensité de l’action de ces deux cytokines est temps-dépendante et dose-dépendante.

Dysfonctionnement Multiple des Organes

Finalement, le SRIS et la coagulopathie qu’il induit provoquent le Dysfonctionnement Multiple des Organes qui conduit à leur insuffisance et à la mort.

 

Le stress de chaleur peut être fatal pour les vaches, mais il est fréquent que la mort intervienne plusieurs jours après l’épisode de chaleur extrême, ce qui participe à son sous-diagnostic. Dans tous les cas, même pour les survivants, il entraine des dysfonctionnements chroniques de différents organes et des pertes de production importantes.

 


Source de l’article : Burhans, W.S. et al. Journal of Dairy Science, Volume 105, Issue 5, 3716 – 3735.


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